Journal des brumes et les surfaces du monde
« L’image est ce devant quoi l’on s’arrête, elle est ou devrait être l’arrêt qui fixe le regard et entrouvre à partir de cette stase, fût-elle la plus modeste, le champ d’une expérience toujours à venir ».
La reprise et l’éveil. J-C. Bailly
Si il y a un point commun à ces deux séries, ce serait, me semble-t-il d’être sans réponses aux questions que pose l’histoire de la perspective linéaire. Je prends la précaution du me semble-t-il car bien souvent la présentation du travail ressemble à un témoignage, fait remonter des expériences. Alors qu’il s’agit parfois pour contrer une dispersion, des incohérences, d’une réorganisation de fragments réels ou imaginés. Mais supposons que la perspective ait été un point d’attraction qui ait satellisé les choix ou orientations de ces travaux. Cette géométrie est alors d’une grande efficacité pour notre aspiration à voir, mais au risque, c’est ce qu’elle fait, de dissimuler des éléments ou de les réduire dans le lointain à une presque invisibilité. Soit, faisons des sacrifices pour organiser les apparences du monde. Nous y gagnons de connaitre la place de l’auteur-spectateur et celle de l’Homme décidant le monde.
Je pense cependant que dans ces histoires de perspective ce qui ne me convenait pas était d’être tenu à l’immobilité convenue de l’auteur ou du spectateur. La perspective n’aime pas le mouvement, elle n’est pas faite pour lui.
Depuis « Sédiments » en 2013, la matière première de mes séries est venue de mes anciens négatifs. Empilés, superposés jusqu’à obtenir une image autre. Puisque l’on ne demande qu’à y croire, alors voyons jusqu’où c’est possible, où plutôt voyons ce que devient la réalité photographique. J’ai donc appliqué ce protocole à d’autres séries. Et avec « Subjectile » et « Les surfaces du monde » en choisissant de conserver l’ensemble du négatif et les indications sur ses bords. Dévoiler la surface de l’image, s’obstiner à faire apparaître l’espace des apparences. Je ne sais si cela fonctionne, mais ça a ouvert, déplié « Le journal des brumes » qui semblait attendre, comme embusqué.
Il n’est pas question d’une chronologie narrative avec sa logique mais de fragments sensibles qui se frottent, se déforment, s’épuisent au contact. La photographie est aussi un corps à corps, peut-être même n’est elle que cela…
« Le journal des brumes » s’est imposé et en appliquant le même protocole de superpositions j’ai pensé aborder le mouvement, mais est-ce bien du mouvement qui est restitué ? N’est-ce pas plutôt une autre dynamique, d’autres tensions puisque c’est le mouvement qui crée ces formes ? Certes, au montage il y a des choix, je retranche, ou favorise telle photographie, mais cette tentative d’organiser le chaos est bien dérisoire par rapport à ce que demandent les images. Elles étaient là avant moi et exigent que je trouve leur place, leur cohabitation possible.
Il y a une certaine duplicité dans la photographie qui fait sa force, celle de nous renseigner pour ne rien dire, d’admettre qu’une image n’est pas une capture, pas un acquis. Elle cherche en silence son autonomie. Et même si il faut bien à un moment donné s’arrêter, une photographie n’est jamais finie et ce qu’elle montre n’a décidément rien à voir.
P. RENAUD. oct 2021
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